vendredi 25 septembre 2015

"Le coup de la dictée", éditorial de Jacques Julliard, hebdomadaire "Marianne", 25 sept.-1er oct. 2015

Nous faisons probablement tous partie,  nous, les Amis de Ramuz, et les amis de nos amis, de ceux qui savent que nous apprenons toute notre vie à lire et à écrire ! Encore est-il bon de commencer le plus tôt possible, et, le cas échéant, à l'école...
L'humour et la pertinence du texte de J. Julliard nous semblent mériter d'être diffusés :




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C. F. Ramuz, pour sa part, a parfois critiqué l'école, les livres... Mais certains souvenirs, tel celui de la composition à "sujet libre", relaté dans Découverte du monde, se passent de commentaires sur les bienfaits d'une évaluation gratifiante. Nous citons la fin de l'épisode, après avoir précisé que le jeune Ramuz a choisi d'écrire tout... en alexandrins, et que le professeur rend les copies de façon théâtrale, gardant la sienne pour la fin de la distribution, saluant sa qualité, mais émettant des doutes sur le véritable auteur de ce texte :
 "[...] vous auriez un dix, seulement... [...] Il faudra que vous m'apportiez une attestation de vos parents..." [...]
"Le passage soudain de la plus extrême des humiliations à ce qui m'apparaissait alors comme le comble des honneurs, m'avait laissé tout étourdi, les oreilles bourdonnantes, comme quand on est tombé sur le tête. J'inaugurais soudain une nouvelle existence où les rancunes, les intrigues, les déceptions les ennuis de l'ancienne n'avaient plus aucune place, entièrement occupée qu'elle était par toute espèce de possibilités que j'entrevoyais déjà une à une, toutes mes forces étant employées à me les énumérer d'avance. Car il y avait une chose du moins dont j'étais sûr : c'est que mes vers étaient de moi et que je ne les avais pas copiés dans quelque auteur de deuxième ou de troisième ordre, comme M. Biaudet m'en avait soupçonné. Alors, la vérité finirait bien par s'imposer, alors j'aurais dix, alors... [...]
Ce n'était donc pas seulement une lubie, cette idée que j'avais eue d'"écrire", et la tête me tournait. Il y avait une sanction : il y avait que le plus exigeant de nos professeurs reconnaissait mes mérites ; et j'étais bien un peu humilié de ne pas avoir été cru sur parole, mais je ne m’arrêtais guère à ce qui ne pouvait être qu'un empêchement passager, m'étant déjà laissé emporter bien au delà par un grand mouvement d'allégresse. Un ÉCRIVAIN. Est-ce que je pourrais jamais être quand même un écrivain ?"
C. F. RAMUZ, Découverte du monde, éd. Les Amis de Ramuz, 2012, pp. 128-130.

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Mais sur cette question fondamentale de la dictée, et donc de l'orthographe, nous ne résistons pas au plaisir de rappeler les exploits du petit Jean-Paul Sartre :
"J'étais le premier, l'incomparable dans mon île aérienne ; je tombai au dernier rang quand on me soumit aux règles communes.
Mon grand-père avait décidé de m'inscrire au Lycée Montaigne. Un matin, il m'emmena chez le Proviseur et lui vanta mes mérites : je n'avais que le défaut d'être trop  avancé pour mon âge. Le proviseur donna les mains à tout : on me fit entrer en huitième et je pus croire que j'allais fréquenter des enfants de mon âge. Mais non : après la première dictée, mon grand-père fut convoqué en hâte par l’administration ; il revint enragé, tira de sa serviette un méchant papier couvert de gribouillis, de taches et le jeta sur la table : c'était la seule copie que j'avais remise. On avait attiré son attention sur l'orthographe - " le lapen çovache ême le ten*" - et tenté de lui faire comprendre que ma place était en dixième préparatoire. Devant "lapen çovache" ma mère prit le fou rire ; mon grand-père l'arrêta d'un regard terrible. [...] dès le lendemain, il me retirait du lycée et se brouillait avec le proviseur.
Je n'avais rien compris à cette affaire et mon échec ne m'avait pas affecté : j'étais un enfant prodige qui ne savait pas l'orthographe, voilà tout." 
 * le lapin sauvage aime le thym.


Jean-Paul SARTRE, Les  Mots, Coll. Folio, Gallimard, pp. 67-68. 

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