C. F. RAMUZ à Estavayez-le-Lac
(texte inédit pour La Nation, été 2011)
C'est le milieu du mois d'août. Les champs sont moissonnés. En ce samedi-là, le soleil et le grand vent achèvent le séchage de beaux regains.
Par Champtauroz où demeure le compositeur Dominique Gesseney-Rappo, puis Murist et sa cathédrale des paysans reconstruite en 1938 - et consacrée par Monseigneur Marius Besson à la veille de la seconde guerre mondiale -, puis La Vounaise et Bollion, me voici à Estavayer-le-Lac. Dans les ruelles de cette petite cité historique se tient chaque année, à cette époque, durant trois jours, une brocante en plein air.
D'emblée, mes pas vont vers les livres... Voici des ouvrages de Léon Savary, des romans d'Alice Rivaz (née Rovray), voici Diego, cet attachant roman de Charles-François Landry, édité chez Corrèa en 1940, avec cette émouvante dédicace:
"A Monsieur le professeur Pierre Decker, que j'ai rencontré sur les hauts plateaux de la douleur, où l'Esprit souffle mieux qu'ailleurs."
Parmi d'autres ouvrages brochés, je découvre RAMUZ, notre parrain, une biographie du grand écrivain écrite par Hélène Cingria, publiée aux Editions Pierre Boillat, à Bienne, en décembre 1956. En tant que membre de la Fondation Ramuz, et de l'association des Amis de Ramuz, à l'université de Tours (cette association présidée depuis fort longtemps par l'infatigable Jean-Louis Pierre, auteur lui-même d'une récente thèse consacrée à l'oeuvre de Ramuz), je me fais un devoir d'acheter ce bouquin un peu jauni. Il est fort intéressant! Hélène Cingria, qui était la fille du peintre Alexandre Cingria, raconte dans ces pages, avec beaucoup d'humour et de simplicité, la trajectoire de cet ami de ses parents.
Charles Ferdinand Ramuz et Alexandre Cingria (le père d'Hélène) avaient fait connaissance pendant leur école de recrues à la caserne de la Pontaise, en 1901(1). Malgré quelques tempêtes dues à leurs caractères fort dissemblables, ils demeurèrent, dès lors, toujours amis. Mais c'est surtout au sujet des débuts de l'écrivain à Paris que l'ouvrage d'Hélène Cingria nous apporte des précisions bienvenues. Dans un avant-propos, elle écrit en effet:
"Ramuz n'est pas le grand homme d'une élite, c'est l'homme d'élite d'une race. Il incarne, avec le sens de l'équilibre et de la mesure qui est le propre du Vaudois, la finesse de son jugement, sa compréhension de l'humaine nature, la malice de son caractère. Joignez à cela ses qualités de poète et de philosophe, et vous aurez les traits les plus marquants de son personnage." ( Op. cit., p. 9)
Ce "personnage", s'il est devenu aujourd'hui un véritable "monument", hélas mal connu ou ignoré par les nouvelles générations, nous est ainsi restitué dans sa proximité vivante, et je ne regrette pas mon achat à Estavayer-le-Lac.
André Durussel-Pochon
(1) Au sujet de cette caserne de la Pontaise, on relira aussi avec profit les pages que consacrait Gonzague de Reynold à cette vénérable institution, des lignes dédiées au capitaine-instructeur Paul de Vallière, in Cités et Pays suisses, première série, Librairie Payot, Lausanne, avril 1914, p. 75-83).
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