Editions Slatkine, Genève, 1997. |
Pour contribuer à la célébration du 300e anniversaire de la naissance de J. J. Rousseau (28 juin 1712), nous proposons ci-dessous la fin d'un article de C. F. Ramuz, (Aujourd'hui, 11 déc. 1930), qu'il est possible de consulter dans le volume de Critiques littéraires édité, préparé et annoté par Jérôme Meizoz, (pp. 301-310).
Maurice Quentin de La Tour, J. J. Rousseau jeune, pastel sur papier. |
Ramuz répond de façon très polémique à un article de François Mauriac (Le Promeneur solitaire, Paris, Plon, 1930) :
" [...] Rousseau a été mauvais père, - c'est vrai. Et c'est tout. Il a été peut-être un amant médiocre, mais ce n'est pas le père qui m'intéresse chez lui, ni l'amant, ni enfin l'époux, pas plus que ce n'était tout à l'heure le sociologue et le moraliste.
Je les oublie, j'en ai bien le droit. J'en ai le droit ; j'y reviens, au nom même de l'esthétique, et de l'esthétique la plus catholique. J'oublie tous ces Rousseaux-là, qui semblent seuls exister pour ses détracteurs comme pour la majorité de ses partisans : - et j'ouvre les livres de l'autre Rousseau, alors, le vrai, celui que j'appelais tout à l'heure le musicien, mais il ne faut pas entendre seulement par là l'auteur du Devin du Village (sic). J'ouvre les Confessions, j'ouvre les Rêveries, j'ouvre les Dialogues, si on veut : je crois que c'est tout. [Cela] fait une biblothèque d'oeuvres complètes, quoique très réduites ; mais Rousseau n'y est pas moins complet, lui, j'entends certain Rousseau, qui est pour moi le seul qui compte. Pas seulement pour moi. J'espère que nous sommes nombreux de ce côté-ci du Jura à penser de même. Beaucoup seront partisans sans doute chez nous de cette bibliothèque réduite qui nous restituerait pourtant tout entier un hommme, qui serait bien alors notre concitoyen. [...] Il s'agit du contact étroit où un homme a été avant nous avec une réalité qui est encore la nôtre : faite d'un lac, d'un ciel et de montagnes : c'est tout, mais c'est beaucoup. M. Edmond Gilliard, qui a été un des seuls critiques à voir clair dans son cas, nous assure quelque part que Rousseau est Savoyard. Le mot a fait rire (bien entendu). On l'a jugé "paradoxal" (bien entendu). On admet volontiers, en ce qui concerne Rousseau, toute espèce de "localisation" à l'exclusion de cette localisation-là, qui pourtant est la bonne. [...] Je l'ai retrouvé pour ma part sur place à Confignon, à Annecy, à Chambéry ; je le retrouve chaque jour à Clarens ou à Meillerie. Je n'ai qu'à lever les yeux de dessus la page où j'écris ces lignes pour distinguer là-bas les grands rochers légèrement passés au bleu par l'air comme du linge de lessive, où il a abordé maintes fois, [...] c'est là qu'il faut chercher Rousseau, - le nôtre ; non dans les archives ou les livres. Un visage de femme et le reflet des montagnes dans l'eau. Un matin de printemps, les cerisiers en fleurs. Ou bien une journée d'été et les cerises viennent de mûrir ; alors trois demoiselles arrivent. "Il me faut absolument un verger au bord de ce lac, il me faut un ami sûr, une femme aimable, une vache et un petit bateau..." Il l'a dit. Pourquoi ne pas le croire ? Et il est bien vrai qu'il n'a eu ni ami sûr, ni femme aimable, ni vache, ni petit bateau, quoiqu'il ait eu beaucoup d'autres choses, parmi lesquelles ce qu'on appelle la gloire, mais l'aventure lui a mal réussi. L'excès des ses malheurs même montre bien le tort qu'il a eu d'outrepasser théoriquement (et justement sur le chemin de Vincennes*) un certain "naturisme" où il est tout entier ; - où pour ma part j'oublie facilement, je veux dire sans aucun effort, le législateur d'occasion et l'ennuyeux pédagogue."
* allusion à la fameuse "illumination de Vincennes" que Ramuz évoque plus haut, dans son article. C'est sur le chemin de Paris à Vincennes que Rousseau, en 1749, comme il le raconte dans les Confessions, a eu, lors d'une pause à l'ombre, l'occasion de lire - dans le Mercure de France - la question proposée par l'Académie de Dijon : "Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les moeurs." Ce fut pour lui comme une révélation, il écrivit son (premier) discours Sur les sciences et les arts, et fonda ainsi sa théorie philosophique selon laquelle l'homme est bon par nature, mais corrompu par la société. Et Rousseau de démontrer qu'il faut réformer la société... mais cette théorie n'intéresse pas Ramuz!
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Lu avec intérêt cet extrait "Défense de Rousseau"
RépondreSupprimerpublié en premiere page d'"Aujourd'hui", No 54 du 11 décembre 1930. J'ai le privilège de posséder cette revue rééditée par Slatkine en 1984 et je vois qu'il s'agit plutôt d'une critique acerbe et personnelle contre François Mauriac... C'est dur et à la fois gênant ! Prendre comme prétexte la défense de Rousseau pour attaquer Mauriac, c'est une attitude de C.F Ramuz que je ne connaissais pas... N'en déplaise à Jérôme Meizoz, le spécialiste des postures des auteurs, ceci n'est pas un texte au service de la littérature, mais un règlement de comptes !
André Durussel