dimanche 19 août 2012

Sur la genèse des "Cahiers vaudois"

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Livres

1914: L’aventure des Cahiers

Par Jean-Louis Kuffer . Mis à jour le 08.08.2012
La parution de Raison d’être, de Ramuz, réinvente la littérature romande

Dès 1914, les Cahiers vaudois rassemblent des écrivains de moins de 40 ans dont les noms sont aujourd’hui reconnus: Charles Ferdinand Ramuz, Charles-Albert Cingria, Edmond Gilliard, Paul Budry, René Morax, Gustave Roud, Pierre Girard, notamment. Les peintres René Auberjonois, Géa Augsbourg et Henry Bischoff, ainsi que les musiciens Ernest Ansermet et Igor Stravinski, s’associent à cette entreprise commune, dont la réalisation de l’Histoire du soldat fera date mondiale. Au total, une quarantaine de cahiers, alternant livraisons collectives et ouvrages personnels, paraissent entre 1914 et 1918.
La légende veut que l’idée des Cahiers vaudois ait été lancée devant la cheminée du maître d’arithmétique Ernest Ansermet, peut-être par Marguerite, son épouse égérie, ou par un prof à l’Ecole de commerce, auteur notable à venir, du nom de Paul Budry. Or celui-ci caressait le projet depuis quelques ann ées déjà. En 1912, Ramuz lui écrivait en effet de son exil parisien:
 «Je voudrais (…) que vous appeliez vos cahiers: Cahiers vaudois. Il faut insister là-dessus, (…) que c’est du canton de Vaud seul qu’il peut sortir chez nous quelque chose et que c’est cette terre-là seule qui donnera un jour des fruits (…). Il faut que ce soit contre-universitaire, contre-intellectuel, c’est-à-dire vivant. De l’imprévu, de la verve, du plaisir, du tempérament. Tout est là.»

Dilettantisme?
Des années plus tard, Paul Budry jouera la désinvolture. «On ne savait absolument pas ce qu’on allait faire», prétendra-t-il, et son compère Edmond Gilliard abondera en évoquant une «partie de plaisir». Or le premier des Cahiers, tout entier consacré à l’essai-manifeste fondateur intitulé Raison d’être, ne reflète en rien ce prétendu dilettantisme. Rompant certes avec la grisaille littéraire romande, Ramuz incarne le sérieux de la littérature comme personne. Budry et Gilliard ont déjà reconnu un grand écrivain en l’auteur d’Aline, de Jean-Luc persécuté ou de Vie de Samuel Belet, merveilles encore inaperçues, sauf de quelques-uns. En outre, à la veille de la Grande Guerre, Ramuz prépare son retour au pays avec cette idée qu’une littérature autonome et originale y est possible, dégagée des carcans de la morale et défiant le régionalisme autant que le chauvinisme national. Et puis Ramuz a d’autres amis que les trentenaires Vaudois. Dès le début du siècle, à la caserne de Lausanne, une école de sous-officiers l’a fait rencontrer un artiste et un esprit d’exception en la personne d’Alexandre Cingria, peintre et futur verrier flamboyant. La rencontre des petits caporaux s’enrichira bientôt à l’apparition de l’extravagant non moins que génial Charles-Albert, frère cadet d’Alexandre, pour former le début d’un cercle amical artistico-littéraire impatien t de «faire quelque chose».
Deux revues genevoises éphémères, Les Pénates d’argile et La Voile latine, concrétiseront ce vœu pour buter sur de fortes dissensions idéologiques entre «helvétistes» et «latinistes». Un pugilat légendaire opposant Gonzague de Reynold et Charles-Albert Cingria servira de leçon aux compères des Cahiers vaudois. La correspondance échangée par Paul Budry et Ramuz permet ainsi de voir comment le premier, désigné maître d’œuvre par le second, a fini par déjouer les réticences et les bisbilles pour faire cohabiter les Cingria maurassiens et le rebelle Edmond Gilliard, Henri Roorda l’humoriste anarchisant et l’esthète aristo Auberjonois. Avec le recul d’un siècle, la restriction ramuzienne au «canton de Vaud seul» peut laisser songeur, et l’on verra Romain Rolland déplorer les partis pris antigenevois ou anti-alémaniques des compères, alors que l’Europe bascule dans le chaos. Mais Ramuz prétend toucher l’universel par l’affirmation du particulier. A la fin de Raison d’être, contre toute «littérature nationale», il appelle ainsi de ses vœux «un livre, un chapitre, une simple phrase qui n’aient pu être écrits qu’ici»…
S’ils ne furent guère avant-gardistes en cette époque marquée par Joyce et Dada, les Cahiers vaudois contrastent fortement avec les revues romandes de ces années-là. Ils battent en brèche la tradition compassée des pasteurs et professeurs au bénéfice d’une littérature incarnée et d’un art vivant.

Source: Le gai combat des Cahiers vaudois,Georges Duplain, Ed. 24 heures, 1985 (<%= misc::nn_quelle %>)< /span>
Créé: 08.08.2012, 19h44

© Edipresse Suisse

2 commentaires:

  1. Merci pour ces très intéressants documents qui nous plongent dans les coulisses de la création de ces revues, et qui ne sont pas sans rappeler d'autres tentatives de cohabitations littéraires réussies.
    Et bravo encore pour votre formidable travail avec ce blog, l'un des plus vivants et des plus sympathiques de la blogosphère des associations d'auteurs !

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    1. Merci à Fabrice pour cette appréciation de spécialiste ! Son blog sur Gide est tellement riche et foisonnant !!!
      Voir:

      http://e-gide.blogspot.fr/

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