Un des Amis nous a envoyé ces deux extraits de Ramuz, et nous souhaitons les partager avec vous :
C. F. Ramuz, en Suisse, sous le coup du bombardement de Reims en septembre 1917 :
"Il y a une forme d'imagination qui fait qu'on souffre davantage […] combien de fois cet esclavage des images s'abattant de toute part, montant de toute part en vous, qu'on cherche à empêcher, mais qui viennent quand même. [...] J'ai pour ma part, je crois, vraiment "participé", participé tant que j'ai pu, au-delà même de mes forces, mais ce flot montait, montait malgré moi. […] Matériellement, j’ai vu, j’ai senti. J’entends que je suis
entré en chair dans l’horreur […]. J’ai connu vraiment tous les monstres. Ce ne
sont pas seulement des maisons à quelque quatre ou cinq cents kilomètres de la
mienne qui brûlaient, mais la mienne. Pas seulement ces enfants inconnus qui
mouraient, mais le mien."
éd. Les Amis de Ramuz, 1997,
p. 44.
p. 44.
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“Aimer son temps”
"[…] le temps où je suis, en
tant qu’être de chair, je l’aime, parce qu’il est pour moi précisément
l’occasion et comme le support, étant le présent, de toutes [les] présences.
L’amour que je lui porte ne m’empêche pas de le juger. Le propre de l’amour est
de pouvoir sans cesse être blessé sans cesser d’être, et, incessamment repoussé
par son objet, de revenir sans cesse à son objet. Mon temps a beau me blesser,
c’est à lui que sans cesse je retourne, nécessairement, et m’y réfugie ; et,
blessé par lui, c’est par lui encore que je me guéris et de lui. […] Je ne sais
pas du tout, pour ma part, ce que peut valoir mon temps ; je ne sais pas quels
crimes on l’accusera plus tard d’avoir commis (encore que je le soupçonne d’en
avoir commis, d’en commettre encore de très grands) : je ne l’en aime pas moins
d’un amour tout charnel qui juge sans cesser d'aimer."
C. F. Ramuz, “Aimer son
temps”,
Aujourd'hui, 5 décembre 1929,
(in Œuvres complètes, Slatkine, XIII, pp. 59-62).
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