[Le chemin Ramuz]
Le chemin ramuz
c’est tout près d’ici
quelque chose, paradoxalement ,
qui va tout droit et tout plat
(rien qui s’incurve et s’élève
qui tournerait, et tourne encore une fois,
continue de monter
sa mesure à la dimension verticale
joue au bonneteau avec les nuages
laisse en dessous des choses, maisons
arbres, êtres, espoirs, usages)
Toute cette campagne-ci se lit à peu près à ras
avec des ondulations qui sont comme des mou-
vements secrets de l’âme
des accidents de terrain, mais tout autant du
cœur humain
deux talus qui soudain vous encaissent comme
un cercueil
et sur le sommet d’un, une suite de bara-
quements stabulaires
recouverts en tôle rouillée et matelassés de foin,
de paille
qui vous font, pourquoi ? penser à des drames
paysans
le meurtre biblique de la femme infidèle
et l’enfant adultérin, tous deux brûlés vifs dans
un fenil
ô Jean-Luc !
plus loin, un pauvre type éternel
frappe le mufle de sa jument
à coups de manche de fouet
“C’est ainsi que sont les hommes ils devraient
se battre eux-mêmes, et ils battent leur cheval”).
Charrette !
Dans le ciel qui tend par là-dessus une immense
page à écrire
le maître de cet univers de bois maigres, de
clavicules enterrées
fait planer son profil de rapace, dérive
en larges cercles
qui sont comme des encerclements de phrases
une adaptation constante en terrain narratif
une acuité au langage des gestes et des sentiments
une précision dans le rapt verbal qui saisit tout
cela d’un jet d’oiseau prédateur
C’est le chemin qui continue toujours
dans la misère et la douceur du monde
il aboutit, quelque part,
au Petit Village
villages des brutes, dit l’un1
coin du monde où il y a
à peu près toute l’humanité,
dit l’autre2 -
1. Jacques Chessex, “Hiver”, dans Élégie Soleil du regret.
2. Jules Renard, Journal, 26 juin 1908.
Jean-François Dubois, LesTrois Suisses*,
p. 63-64, in Jamais bien loin, le dé bleu, 1994.
(*les deux autres sont Gustave Roud et Charles-Albert Cingria)
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