vendredi 17 avril 2009

C. F. RAMUZ,"LE GRAND PRINTEMPS", préface de Francis Olivier






Le Grand Printemps,

préface de F. Olivier, éd. Les Amis de Ramuz, 1997.

La 4e de couverture donne le jugement d'Albert Muret, extrait d'une lettre à Ramuz

(7 juin 1917)


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La préface de F. Olivier donne signale l'importance de ce livre complexe, paru en 1917 dans le quatrième des Cahiers Vaudois, mais dont la date du manuscrit est capitale: "fin mars-14 avril 1917". Cette date permet d'éviter des commentaires erronés sur la pages que Ramuz consacre à la Russie, et qui ont, cependant, un caractère visionnaire.

Les trois thèmes principaux qui s'entrelacent dans cet ouvrage sont:


*le retour au pays natal [1914],

*les échos de la Guerre,
*les événements du début 1917 en Russie...

Pour illustrer la variété des tons et des thèmes abordés nous proposons les extraits suivants:

[Le retour en Suisse]

"On "rentrait", et, pourquoi est-ce qu'on rentrait, c'est ce qui n'est pas facile à dire, parce qu'en même temps qu'on changeait de vie, le monde tout entier en changeait. En même temps qu'on faisait virer de bord sa petite barque, la rive elle-même virait. il n'y a plus eu de points de repère." (p. 22).

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[L'homme, l'artiste, le plaisir]

"L'artiste (le poète) est partout. je crois que le paysan qui aime une vache parce qu'elle est belle est un artiste.[...] On commence à voir que tout le monde est avant tout artiste et ne vit que par là. Jusqu'à l'amateur de vin ou de cuisine, savourant, dégustant, et puis faisant claquer sa langue:[...] il y a un contact direct entre lui et les choses. Je cherche la raison profonde de ce que je fais;[...] cette raison est dans le plaisir que je trouve à faire et la raison de ce plaisir est que ce plaisir n'est pas à moi seul. la force de l'art est de ralliement. [...] là où est le plaisir il n'y a pas seulement consentement, il y a élan, don de soi, oubli de soi, appel à autrui, rapprochement, salutation."[...]

Seulement, est-ce qu'on a le droit de parler de plaisir à cette heure?" (pp. 41-43).

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[Empathie pour les souffrances de la guerre]

"J'ai pour ma part, je crois, vraiment "participé", participé tant que j'ai pu, au-delà même de mes forces, mais ce flot montait, montait malgré moi. J'estends que j'ai été étouffé par lui, et on ne respire plus qu'avec peine. [...] Matériellement, j'ai vu, j'ai senti. J'entends que je suis entré en chair dans l'horreur au-delà du possible. J'ai connu vraiment tous les monstres. Ce ne sont pas seulement des maisons à quelque quatre ou cinq cent kilomètres de la mienne qui brûlaient, mais la mienne. Pas seulement ces enfants inconnus qui mouraient, mais le mien." (p. 44).

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[La vraie force du peuple]

"C'est tout au fond de lui [le peuple] que ça se passe, là où il n'est plus conscient. Il a le droit, lui, et lui seul, de paraître indifférent, parce que sa vraie force, à cette heure, est une force de germination.
On vient de le voir avec la Russie, et cet autre innombrable peuple de là-bas." (pp. 55-56).

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["Peuple de Russie..."]

"Peuple de Russie, peuple enfant, et si touchant déjà d'avoir su l'être sans te plaindre bien plus longtemps sans doute que tu n'aurais voulu: voici que ce temps est fini, mais j'aime quand même ce temps et je tiens à le dire. J'ai aimé ton passé et je l'aime toujours. C'est même bien à cause de lui et à travers lui que je t'ai aimé. Seras-tu si près de moi, plus tard, quand, après n'avoir su que chanter et danser, tu ne sauras plus chanter, ni danser, quand, après avoir su si bien prier, tu ne sauras même plus prier? Quand, après n'avoir su t'exprimer que partiellement mais avec tant de puissance, tu voudras t'exprimer tout entier, - et que tu ne le pourras plus, ou mal. [...] Tu seras enregistré, enrégimenté, "collectivisé", "syndicalisé": je ne t'en dis pas moins: "Mets-toi debout, et marche!" Ils te tenaient sous les bras pour que tu ne leur échappes pas: tu leur as échappé. Sans doute que tu vas tomber bien des fois: tombe. Tombe et relève-toi et tombe de nouveau, mais, si un jour tu réussis à te tenir sur tes pieds quand même, tu ne le devras à personne qu'à toi. Tu ne renverseras pas seulement, je sais bien, les barrières qui te gênent, mais celles qui pourraient t'être utiles; tu ne casseras pas seulement ce que tu juges vils, mais ce qui est précieux; [...] peu importe: si tu es fort, tu reconstruiras; et, si tu es faible, dès à présent tu es mort, et tu resteras mort à toi-même jusqu'à ce que d'autres viennent, ou que d'autres naissent de toi, qui eux, reconstruiront - et, de nouveau, tout sera bien." (pp.63-64).


- ECRIT EN MARS-AVRIL 1917! -

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